Minéraux : l’embrasement
La flambée des cours des engrais minéraux et le risque de pénurie provoquent un vent de panique dans le business. Pas sûr que tout le monde soit servi. Et pour les récoltes à venir, c’est l’année de tous les dangers !
Vous devez vous inscrire pour consulter librement tous les articles.
Ammonitrate, urée, solution azotée, DAP, potasse… Aucune forme minérale d’engrais n’échappe à ce renchérissement inédit, à l’œuvre depuis le début de l’année, et qui s’est encore accéléré cet automne. Il est généré par une combinaison de facteurs propres à chaque élément fertilisant, mais aussi de tendances générales : une reprise de la demande spectaculaire au niveau mondial, la fermeté des cours des céréales et du fret. En parallèle, les cours du gaz naturel ont grimpé en flèche depuis cet été, atteignant des records en octobre. Cela a conduit les fournisseurs d’ammoniac à réduire leur production européenne car, pour les fabricants d’engrais, il est devenu moins cher d’en importer. « En Europe, 40 % des capacités d’ammoniac sont arrêtées », signale Renaud Bernardi, président de l’Unifa. La panique s’est alors emparée des opérateurs, ce qui a entretenu la flambée des prix. « Il y a eu un rush d’achats en septembre-octobre de la part de la distribution, témoigne Thierry Corlay, chef de marché nutrition végétale chez Impaact, mais le soufflé est retombé avec les prix proposés en ammonitrate mi-octobre qui ont marqué un coup d’arrêt. À ces niveaux, si les distributeurs n’ont pas la certitude de vendre en cultures, il vaut mieux passer son chemin. »
Taux de couverture entre 60 et 70 %
Encore faudra-t-il que ce qui a été commandé soit livré. L’Unifa ne nie pas quelques problématiques d’acheminement mais dément une pénurie, du moins pour les ammonitrates, qui représentent 60 % de la consommation d’engrais azotés simples en France. « Les cinq usines françaises tournent, soit avec de l’ammoniac produit en France, soit avec de l’ammoniac importé, tient à réaffirmer Renaud Bernardi, président de l’Unifa. Il y a une volonté forte de toute la profession agricole de continuer à fournir la ferme France. Les industriels français sont dans leur objectif de livraison d’ammonitrates pour 2021-2022, un objectif au moins équivalent à celui de la campagne précédente. » En revanche, concernant les produits d’importation, « il y a un questionnement sur la mise à disposition et sur la logistique » et « nous n’avons pas toutes les certitudes aujourd’hui ». Ce qui est certain, c’est que les volumes d’urée et de solution azotée mis sur le marché sont en net retrait. Et si d’importantes quantités finissaient par arriver dans les ports, il n’est pas sûr de pouvoir trouver des camions et des citernes pour les transporter jusque dans les cours de ferme.
Au global, Isaure Perrot, spécialiste des engrais chez Agritel, évoque un taux de couverture des agriculteurs autour de 70 % début novembre, contre plutôt 80 % habituellement. « Malgré un rattrapage cet automne, il y a eu moins de couvertures sur la période de morte-saison. » Selon Renaud Bernardi, le taux de couverture sur le marché français était légèrement supérieur à 60 % début novembre. « C’est un chiffre raisonnable, un bon pourcentage par rapport à nos voisins européens. La distribution française a pris des positions précoces et a sécurisé une partie de ses approvisionnements. L’avance prise par la France va s’avérer déterminante pour la suite de la campagne. » Chez Impaact, la couverture est légèrement inférieure à une année normale. « Globalement on a servi nos clients, mais il y a une hétérogénéité très importante selon les territoires », note Thierry Corlay. Cette situation pourrait-elle mener jusqu’à des impasses en azote ? « Des agriculteurs de taille conséquente n’ont encore rien acheté, observe-t-il. Mais je ne crois pas à une baisse de consommation in fine. »
En tout cas, aucune détente d’ampleur n’est prévue, au moins jusqu’au premier apport d’azote. « Si le gaz naturel ne connaît plus les flambées qu’on a vues et ne s’envole pas durant l’hiver, le gros des hausses est derrière nous, tente Renaud Bernardi. Mais cela tient plus du vœu que de la certitude. » Néanmoins, il entrevoit des signes de détente : par exemple, « la plupart des grands stockages européens de gaz sont en train de se remplir ». « Ça commence à se calmer en solution azotée et en ammonitrate mais l’urée, qui est le marché directeur au niveau mondial, continue de monter, tempère Isaure Perrot. Par ailleurs, si le cours du gaz est redescendu, il reste sur des niveaux records. » Et la géopolitique n’a pas dit son dernier mot.
Engrais de fond : impasses à venir
Dans ce contexte, de nombreuses organisations exhortent la Commission européenne à suspendre les droits antidumping qui frappent depuis 2019 les importations de solution azotée en provenance de Russie, des États-Unis et de Trinité-et-Tobago, pour favoriser l’approvisionnement du marché européen et ainsi limiter les charges de production qui pèseront sur les agriculteurs pour la prochaine campagne. Des demandes qui sont restées à ce jour lettre morte, même si Bruxelles dit travailler sur une « boîte à outils » visant à aider les États membres à déployer des mesures pour faire face à la situation.
En engrais de fond, on peut déjà s’avancer pour dire que la campagne ne sera pas glorieuse. Des impasses conséquentes sont à redouter, générant des baisses de consommation substantielles. Les opérateurs parlent de − 20 à − 40 % alors que les applications habituelles sont déjà à des niveaux historiquement bas. « En dehors des cultures contractuelles, on s’attend à un fort recul des engrais composés, il ne peut pas en être autrement avec de tels niveaux de prix », présume Thierry Corlay. Que ce soit en P ou en K, les commandes sont au point mort. En phosphates, « si jusque-là il y avait des achats, il y a un blocage depuis fin octobre, reconnaît Florian Cloarec, DG de Phosagro France. Et les distributeurs ne reviendront pas avant janvier. » En attendant, la Chine continue d’interdire les exportations, et la Russie les limite drastiquement. En potasse, la situation est également problématique avec une offre extrêmement limitée, notamment en raison du conflit politique entre l’UE et la Biélorussie, qui s’est ravivé avec la crise migratoire à la frontière polonaise.
Pour accéder à l'ensembles nos offres :